La neige tombait fort et limitait notre visibilité à quelques mètres seulement. Notre ami Bek était un conducteur prudent et naviguait lentement entre les bosses et trous du chemin en terre. Il avait fallu à peine 30 minutes pour passer de Olgii dans la province mongole de Bayan à la petite ville de Sagsai. Même si notre destination, notre famille d’accueil Kazakh, était seulement à quelques kilomètres, il nous faudrait encore presque une heure pour y arriver, preuve de l’état des “routes” et de la saison presque hivernale. Nous avions bien roulé parmi les troupeaux de vaches, chevaux, yacks, moutons et chèvres, tous enveloppés de blanc par la lourde neige.
Nous avions enfin tourné vers une ger isolée, notre destination finale. Alors que nous prenions nos sacs, une petite dame âgée sortit pour nous accueillir. Notre hôte Baigan nous poussa à l’intérieur de la ger, où un poêle brûlant et une table recouverte de nourriture nous attendaient.
Comme nous l’avions découvert plusieurs fois depuis notre arrivée en Mongolie, le traditionnel thé au lait était servi dès notre entrée dans une ger. Baigan incarnait l’hospitalité nomade en présentant plusieurs sortes d’aliments, du beurre maison, de la crème, du lait caillé séché “khuruud” (ou aarul lorsqu’il est tout d’abord fermenté) et des beignets frits “baursak” (ou boorstog), ainsi que du sucre, des gâteaux, des biscuits, des bonbons et plus encore. Le thé au lait nous réchauffa, accompagné d’une pile de baursak et de crème fraîche. Une chose que nous avions rapidement réalisé, c’est que vous ne pouvez pas obtenir assez de thé au lait, au moins dans l’état d’esprit Kazakh…
Grignoter notre khuruud sec, (qui peut être ramolli en le laissant infuser dans le thé !) entre deux gorgées de thé chaud nous permit de nous familiariser avec notre environnement à l’intérieur de la ger. Le foyer de cinq personnes était propre et bien rangé, haut en couleurs avec les tapis, coussins et couvre-lits pendus. Trois lits, un coffre, une table avec quelques sièges en bois, un poêle fonctionnant au fumier et un placard plein d’ustensiles étaient les principaux éléments.
Comme nous étions dans une famille de chasseurs d’aigles, une selle, quelques piques et l’équipement pour la manutention de l’aigle étaient également visibles. Des photos de famille, le portrait du défunt mari, son chapeau de Kazakh et une assiette décorée d’un aigle, mais aussi des médailles, terminaient la décoration du mur.
Bek facilita la discussion que nous avions engagée nous-mêmes, sur notre situation actuelle et où nous avions voyagé en Mongolie, ainsi que notre famille d’accueil. Notre hôte, Baigan, vivait avec l’un de ses trois fils, Erlang, son épouse Dinar et leurs deux jeunes fils Tastan et Arkhalykh. Erlang était absent et serait de retour le lendemain. Baigan avait un autre fils, Erbold, vivant dans une autre ger proche, ainsi que son beau-frère, le frère cadet de son défunt mari. La communication n’était pas des plus faciles, compte tenu de nos lacunes en Kazakh.
En effet, notre langue mongole laborieusement acquise n’était d’aucune aide ici, le Kazakh étant la langue à connaître. Nous avions réussi, pour la plupart en gesticulant et grâce à la traduction de Bek, à exprimer notre désir d’en savoir plus sur la culture kazakhe et de participer à leur routine quotidienne, en leur offrant notre aide le plus possible.
Pendant notre discussion, le dîner avait été préparé par Baigan. La pâte avait été mélangée, roulée et emballée avec la viande et les oignons. Dinar et une voisine venue aider s’occupaient de l’ensemble du repas, pendant que nous parlions à Bek. Depuis que nous étions arrivés et que Bek aidait à traduire, je leur jetais un oeil de temps en temps, car j’avais hâte de voir ce qu’ils faisaient.
Un grand plat de boulettes chaudes cuites à la vapeur – un repas traditionnel appelé buuz – fut présenté, et Baigan nous invita à nous servir. Ces boulettes étaient délicieuses, faites avec du mouton, une viande que nous retrouverions souvent aux repas durant notre séjour.
La soirée s’installait tranquillement, avec Dinar et Baigan faisant la vaisselle, alimentant le poêle en carburant et s’assurant que nous avions une recharge constante de thé chaud. Bruno, Bek et les enfants jouaient à un jeu d’ossellets. Cela me rappela mon enfance, un jeu similaire avec ma grand-mère.
Les moments de silence étaient interrompus par une discussion occasionnelle entre Baigan et Erlang ou des rires des enfants. Sur la fin, je continuais à faire attention au langage, dans l’espoir d’apprendre leurs noms Kazakh. Ceux-ci étaient aussi imprononçables que leurs homologues Mongols et je me sentais mal en prononçant chaque mot. Les enfants riaient de mes pauvres tentatives, alors que les adultes répétaient patiemment les mots pour notre plaisir.
Il était tard quand la table fut poussée sur le côté, nous libérant un espace dans la ger pour étaler nos sacs de couchage. Baigan et Dinar déroulèrent plusieurs couches de lourds tapis pour une insolation et un confort supplémentaires sur le sol dur et froid. Avant de rejoindre la chaleur de nos sacs, Bruno et moi allèrent dehors pour une pause rapide aux toilettes. C’était la nuit noire, hormis les étoiles et le givre des flocons duveteux amenés par de forts vents et la tempête de neige qui s’abattait. Ne connaissant pas la configuration du terrain, je ne voulais pas m’aventurer loin, juste m’assurer que je n’allais pas marcher sur une chèvre ou une brebis, pour répondre à l’appel de la nature. La chaleur de la ger était frappante à nouveau, quand nous sommes rentrés à l’intérieur, et il ne nous fallut pas longtemps avant de nous endormir.
Les rituels du matin dans une ger commencèrent avec le lever du soleil. Dans cette partie de la Mongolie, au début d’octobre, le soleil se lève à environ 07:00. Le premier ordre du jour est d’obtenir la chaleur du poêle. Les températures étaient assez froides à cette date et je restais emmitouflée dans la chaleur de mon sac jusqu’à ce que j’entende les sons reconnaissables de la cuisinière nettoyée et chargée à nouveau. Il n’y a pas de fenêtre dans une ger, et la lumière provient principalement soit d’une ouverture au sommet de la ger pendant la journée, soit d’une ampoule de batterie solaire dans la soirée. Pour cette raison, la deuxième étape de la matinée est d’ouvrir la partie supérieure de la ger. Alors que les bruits de battements du lourd couvercle et de vol des cordes nous auraient été étrangers il y a deux mois, nous y étions désormais habitués et je n’avais pas besoin de regarder pour savoir ce qui se passait. Mais je levais les yeux pour vérifier les conditions météorologiques, curieuse de voir quel temps on aurait ce jour-là. Le ciel blanc confirma que la tempête de neige faisait encore rage. La chambre se réchauffa lentement et j’osa sortir de mon sac. La ger était toujours très calme, avec seulement les craquements de combustion du poêle et la lueur des flammes oranges. Baigan et Dinar avaient disparu, tandis que Bek et Bruno, ainsi que les garçons, étaient encore endormis.
J’enfila plusieurs couches de vêtements et me suis dirigéa à l’extérieur, dans l’espoir de trouver les deux dames. J’avais à peine fait quelques pas quand je fus frappée par la beauté de la région. La neige tombait fort, le plafond bas et blanc donnant l’impression d’une couverture en coton.
Dinar était au loin, ramenant les vaches vers Baigan déjà occupé à la traite. C’était un sentiment surréaliste, la Mongolie dans des conditions hivernales. J’avais l’impression d’être transportée dans une des nombreuses photos National Geographic que j’accrochais au mur. Le paysage apparemment paradisiaque signifiait toutefois des conditions réellement difficiles.
Le vent froid traversait mes doublures d’hiver, et j’étais cependantà l’extérieur depuis une minute à peine. Dinar et Baigan étaient sorties depuis plus de 30 minutes. Mes mains étaient à peine tièdes, même avec deux couches épaisses, quand je nota que celles de Dinar et de Baigan étaient nues pour traire les vaches.
Je resta un certain temps à les regarder alors qu’elles secouaient leurs mains pour les réchauffer. Je ne savais pas comment je pouvais aider. Comme je les avais vus attacher et détacher les jeunes veaux après qu’ils aient bu sous leurs mères, je remarqua un veau accroché à la corde.
Baigan hocha la tête. J’attrapa le petit doucement, mais il refusa de venir. Baigan se leva et attrapa le veau de ses mains fortes, tirant dur dessus. Le veau résista un peu mais relâcha et fut attaché à la corde en quelques secondes. Baigan fit un geste vers moi de libérer un autre veau, qui rejoint ensuite rapidement sa mère. Traire leurs six vaches et yaks, libérant les veaux, prit environ une demi-heure. Mes mains étaient froides malgré mes gants chauds, et je ne pouvais pas imaginer comment Baigan and Dinar sentaient leurs mains nues.
Une vache se tenait également à l’extérieur de la ger, attendant patiemment que Baigan vienne la traire. Je supposa qu’elle n’avait pas vu que la traite était déjà commencée à quelques pas, et la poussa vers Baigan.
La neige s’était arrêtée pendant ce temps, mais pas avant d’avoir recouvert le sol et les montagnes qui nous entouraient de plusieurs centimètres de sa poudre blanche. Le ciel était maintenant bleu profond, et le soleil levant envoyait des raies rouge et orange.
Des centaines de moutons, chèvres, vaches, yaks et chevaux étaient autour de nous, avec les enfants kazakhs déplaçant le troupeau loin du gaz et sur de meilleurs pâturages.
La neige ne semblait pas dissuader les animaux de gratter les flocons blancs pour manger. Bruno m’avait rejoint et poussait les chèvres et les moutons avec Tastan et Arkhalykh.
Arkhalykh portait fièrement un chapeau de renard, fait par son grand-père qui le portait de son vivant.
Les couleurs qui nous entouraient étaient incroyables, et nous étions admiratifs, profitant du paysage tout en partageant une tranche de vie Kazakhe.
Bek nous informa qu’Erbold allait tuer un mouton. Il nous demanda si nous voulions le voir. Bien sur intéressés, nous le suivions pour rejoindre Erbold.
Plus d’infos sur notre expérience chez les Kazakh : traditionnels abattage et fête du mouton, y compris le repas de tête de mouton, la fabrication du beurre et des produits laitiers, la préparation de la pâte baursak et d’autres pâtes, les préparatifs de l’hiver et la migration de bétail.
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